En mai 2018, l’Observatoire de la Dépense Publique a réalisé avec l’appui du Comité d’Orientation
de la Réforme des Finances Publiques (COREF) une mission d’Evaluation Citoyenne de l’exécution des budgets de l’Etat dans les secteurs pro-pauvres de 2014 à 2016. L’étude a été conduite par deux consultants sous la supervision de l’Observatoire de la Dépense Publique à savoir le Professeur Florimond MUTEBA TSHITENGE Président de l’Observatoire de la Dépense Publique et Joël MUKENI, Chef de Travaux à l’Université de Kinshasa.
La principale conclusion de ladite étude est que les budgets en RDC ne sont pas pro-pauvres. La croissance économique n’a jamais été pro-pauvre, la croissance est considérée « pro-pauvre » quand les revenus des pauvres croissent dans une proportion plus grande que celle des revenus des non pauvres. Dans ces conditions, plus la proportion de la croissance des revenus des pauvres (comparée à celle de la croissance chez les non-pauvres) est élevée, meilleure est la qualité « pro-pauvres » de la croissance. Ce qui n’a jamais été le cas en RDC surtout les vingt dernières années.
Voici les principaux enseignements tirés de ladite étude :
1. Aperçu général sur l’évolution des dépenses par rubrique des secteurs pro-pauvres par rapport aux autres secteurs dans le budget général de l’Etat
L’évolution globale des dépenses exécutées par rubrique du Budget Général de l’Etat de 2014 à 2016 est de 16 163 125 095 453,9 de CDF contre une prévision de 20 532 694 906 728,8 CDF soit un taux d’exécution de 78,7%.
La part de dépenses par rubriques des secteurs pro-pauvres a été de CDF 7 150 017 869 377,36 sur les dépenses globales est de 20 532 694 906 728,8 CDF, soit la part de 34,8% en prévision et CDF 3 884 821 898 589,06 sur les dépenses globales exécutées de 16 163 125 095 453,9 CDF, la part de 24%, soit un taux de 54,3%%.
Evolution de la part des secteurs pro-pauvres par rubrique de 2014 à 2016 par rapport aux autres rubriques du budget général de l'Etat
ANNEES |
2014 A 2016 |
||
RUBRIQUES |
PREVISIONS DE 2014 A 2016 |
EXECUTIONS DE 2014 A 2016 |
% |
Bourse d'études |
5 700 000 000,00 |
466 038 662,30 |
8,2 |
Charges communes |
253 559 942 000,00 |
231 703 167 809,46 |
91,4 |
Contrepartie des Projets |
160 281 344 000,00 |
117 566 122 040,36 |
73,3 |
Santé, Agriculture, Développement rural et Genre, Famille et Enfants |
39 722 864 220,50 |
74 470 372 401,54 |
187,5 |
Autres |
120 558 479 779,50 |
43 095 749 638,82 |
35,7 |
Dépenses Exceptionnelles sur ressources Extérieures |
113 755 498 432,00 |
- |
0,0 |
Dépenses Exceptionnelles sur ressources Propres |
1 247 566 052 877,00 |
286 020 544 831,33 |
22,9 |
Financement des Réformes |
59 083 039 229,00 |
9 687 920 031,36 |
16,4 |
EPS/SECOPE |
8 000 000 000,00 |
- |
0,0 |
Autres |
51 083 039 229,00 |
9 687 920 031,36 |
19,0 |
Fonctionnement des Institutions |
891 039 046 930,40 |
1 032 884 647 993,48 |
115,9 |
Présidence, Primature, Vice-Primature, Secrétariat du Gvt, Assemblée Nationale, Senat, |
644 437 203 933,40 |
897 605 737 065,06 |
139,3 |
Autres |
246 601 842 997,00 |
135 278 910 928,42 |
54,9 |
Fonctionnement des Ministères |
1 775 021 739 190,00 |
918 299 917 044,97 |
51,7 |
Santé, Enseignement, Infrastructures, Agriculture, Développement rural, Genre, Femme et Enfants |
409 545 239 429,00 |
196 975 066 835,71 |
48,1 |
Autres |
1 365 476 499 761,00 |
721 324 850 209,26 |
52,8 |
Interventions Économiques, Sociales, Culturelles et Scientifiques |
312 910 203 461,00 |
475 495 376 764,58 |
152,0 |
Santé, Enseignement, Infrastructures, Agriculture, Développement rural, Genre, Femme et Enfants |
86 048 393 895,00 |
73 662 427 475,55 |
85,6 |
Autres |
226 861 809 566,00 |
401 832 949 289,03 |
177,1 |
Investissements sur Ressources Extérieures |
4 167 599 852 524,00 |
839 646 400 141,35 |
20,1 |
Santé, Enseignement, Infrastructures, Agriculture, Développement rural, Genre, Femme et Enfants |
1 887 430 657 642,00 |
385 650 975 172,05 |
20,4 |
Autres |
2 280 169 194 882,00 |
453 995 424 969,30 |
19,9 |
Investissements sur Ressources Propres |
452 834 865 487,00 |
5 957 674 645 296,66 |
1315,6 |
Santé, Enseignement, Infrastructures, Agriculture, Développement rural, Genre, Femme et Enfants |
109 286 436 277,00 |
141 011 387 850,63 |
129,0 |
Autres (Rubrique Fourre-tout) |
343 548 429 210,00 |
5 816 663 257 446,03 |
1693,1 |
Investissements sur Transfert aux Provinces et ETD |
2 150 126 668 485,40 |
324 954 017 105,31 |
15,1 |
Santé, Enseignement, Infrastructures, Agriculture, Développement rural |
1 886 115 332 156,00 |
281 036 776 246,56 |
14,9 |
Autres (Fourre-tout) |
264 011 336 329,40 |
43 917 240 858,75 |
16,6 |
Rémunérations |
5 378 034 324 998,00 |
5 192 858 232 118,03 |
96,6 |
Santé, Enseignement, Infrastructures, Agriculture, Développement rural, Genre, Femme et Enfants |
2 723 868 945 757,86 |
2 732 014 892 607,02 |
100,3 |
Autres (Fourre-tout) |
2 654 165 379 240,14 |
2 460 843 339 511,01 |
92,7 |
Subventions aux organismes Auxiliaires |
146 685 856 619,00 |
724 335 710 096,55 |
493,8 |
Subventions aux services déconcentrés |
25 095 355 162,00 |
2 375 000 000,00 |
9,5 |
Subventions aux services Ex-BPO |
64 050 918 499,00 |
49 157 355 518,16 |
76,7 |
Transfert aux Provinces et ETD (Fonctionnement) |
666 498 100 000,00 |
606 156 920 591,65 |
90,9 |
Dette Publique |
662 300 989 000,00 |
|
|
Frais Financiers |
293 505 375 200,00 |
|
|
Rétrocession aux Régies Financières |
691 222 068 231,00 |
|
|
TVA Remboursable |
1 015 823 666 404,00 |
|
|
TOTAL |
20 532 694 906 728,80 |
16 163 125 095 453,90 |
78,7 |
Montant total des secteurs pro-pauvres dans le budget Général |
7 150 017 869 377,36 |
3 884 821 898 589,06 |
54,3 |
Taux |
34,82 |
24,04 |
|
Source : Ministère du Budget / DPSB
2. Sur le plan de l’exhaustivité des budgets
Partant des méthodes proposées par l’assistance technique du Département des Finances Publiques du Fonds Monétaire International et du Centre Régional de Renforcement des Capacités pour l’Afrique Centrale, AFRITAC Centre ainsi que celle de la Banque Mondiale et du Programme des Nations Unies pour le Développement ayant mis à la disposition des Experts du Gouvernement des outils d’élaboration du cadrage macroéconomique, du Cadre Budgétaire à Moyen Terme et des Cadres des Dépenses à Moyen Terme, le Gouvernement a développé des outils d’établissement du lien entre le Programme d’Action du Gouvernement et le budget. Les efforts restent à faire au niveau de la répartition intra-sectorielle dans la mesure où le projet du budget n’est pas encore accompagné des Cadre de Dépense à Moyen Terme Sectoriels. Par ailleurs, l’évaluation PEFA (Public Expenditure and Financial Accountability) 2012 relève notamment que les délais accordés aux ministères techniques pour la présentation de leurs propositions restent toujours trop courts. Cette évaluation indique également que les projets de budget sont transmis tardivement au parlement.
3. Sur le plan du réalisme des budgets
En RDC, les taux de réalisation des prévisions de recettes affichent une tendance baissière sur toute la période 2001-2014, comme on l’a déjà dit. Pour l’année 2014, ce taux est ressorti à moins de 60% et son taux de décaissement n’est que de 56%. Il est clair qu’avec un tel niveau de réalisation la crédibilité, le réalisme ainsi que la redevabilité du budget de l’Etat deviennent des sujets à caution. D’après le Comité Permanent du Cadrage Macro-économique (2017), il y a lieu de tirer trois principales leçons au départ de ces constats. Premièrement, il apparaît ainsi formellement que les prévisions de recettes sont irréelles au regard des performances palpables des services fiscaux. Deuxièmement, si le pays veut accomplir ses ambitions de développement, des mesures robustes et inflexibles doivent être adoptées par le Gouvernement pour amplifier substantiellement les taux de recouvrement des recettes. Troisièmement, le Gouvernement doit rajuster ses ambitions pour les aligner sur ses capacités réelles de financement afin d’éviter d’affaiblir tout l’ensemble de son processus budgétaire.
4. Sur le plan de la rationalité de la dépense
De 2011-2015 : La part des dépenses en capital s’est élevée à 27,4 % ressortant une baisse de 8,1% par rapport à la moyenne de 2006-2010 et de 71,9% des dépenses de fonctionnement. Cette tendance à la baisse des dépenses d’investissement est surtout due aux financements des élections organisées en 2011.
5. Sur le plan de la budgétisation fondée sur les politiques publiques
En RDC, le processus de programmation/budgétisation souffre cependant d’un manque d’ancrage du Cadre de Dépense à Moyen Terme sur le Programme d’Action Prioritaire. Ceci est dû à plusieurs raisons parmi lesquelles on peut citer : (i) la non utilisation d’une mercuriale des prix pour estimer les coûts réels des ouvrages à livrer par différents programmes à réaliser, (ii) l’inexistence d’une stratégie de financement pour servir de sous bassement à une note de plaidoyer en vue de mobiliser les ressources nécessaires ainsi que (iii) l’absence de données fiables pour doter chaque programme des indicateurs de suivi assortis des cibles tangibles à atteindre.
6. Sur le plan de la budgétisation axée sur la lutte contre la pauvreté
De manière générale, pour être qualifiée de pro-pauvre, le budget de l’Etat en RDC devrait normalement accompagner les objectifs ultimes de lutte contre la pauvreté tels que fixés dans les différents documents de la planification du développement ; Et pourtant, il revient d’après les différentes revues des Objectif du Millénaire pour le Développement, du DSCRP 2 et du PAG que très peu de ces objectifs n’ont pu être atteint en particulier ceux liés à l’atteinte des Objectif du Millénaire pour le Développement. Quelques éléments peuvent expliquer cette situation:
1. La faible mise en œuvre du programme de renforcement des capacités contenu dans le programme du Fonds National de Renforcement des Capacités,
2. Le faible développement social et humain nécessaire pour sortir le pays de la catégorie des Pays moins avancés
3. La pénible et difficile poursuite de la construction et de la modernisation des infrastructures de base, les faibles avancées dans l’amélioration du cadre de vie et des conditions sociales de la population, pas d’amélioration des conditions de production agricole en vue de lutter contre l’insécurité alimentaire en vue de faire du Congo un grenier agricole ainsi que le faible renforcement du capital humain en vue de faire de la société congolaise un vivier de la nouvelle citoyenneté et un pool d’intelligence tel que prôné dans la vision de Kabila sur la révolution de la modernité et relayé dans le Programme d’Action du Gouvernement (2012-2016).
4. En rapport avec le DSCRP 2 et le Programme d’Action Prioritaire renforcé du Programme Autonome du Gouvernement et du DSCRP 2, il était prévu qu’un budget pro-pauvre digne de ce nom devrait ramener l’incidence de la pauvreté d’environ 70% en 2010 à moins de 60% en 2016, assurer un taux de croissance moyen du PIB à 2 chiffres à partir de 2010, créer environ 1 million d’emplois décents par an pour réduire le taux de sous-emploi global, stabiliser les prix intérieur des biens et services pour atteindre un taux d’inflation moyen annuel inférieur à 4% et contenir le solde budgétaire à moins de 1,5% du PIB pour éviter le recours massif aux mode de financement inflationniste. Il n’y a eu que très peu d’avancées.
5. Par rapport à l’atteinte des Objectif du Millénaire pour le Développement, les différents rapports élaborés à cet effet montre des progrès importants ont été réalisés dans certains Objectif du Millénaire pour le Développement. Il s’avère cependant que tous ces progrès réalisés sont à la fois insuffisants par rapport aux objectifs fixés et en dessous des normes fixées.
6. Les leçons à tirer de l’exécution des budgets en rapport avec le New Deal sont les suivantes : (i) une démarche de budgétisation désarticulée ne permettant pas une convergence des efforts, actions et programmes vers la résolution de la fragilité et la marche vers la résilience, (ii) la faible mobilisation des recettes pour des budgets censés concourir à l’émergence du pays fait également partie des faiblesses décelées, (iii) la faible couverture des investissements au profit des dépenses de rémunération et de fonctionnement, (iv) la dépendance accentuée vis-à-vis de l’extérieur pour le financement de gros investissements ainsi que des prévisions budgétaires souvent trop ambitieuses, jamais pleinement réalisée, (v) le non alignement du budget sur le New Deal et le manque d’ancrage des indicateurs du budget sur les indicateurs de la matrice de fragilité.
Il devient de ce fait difficile de conclure à l’existence d’un budget pro-pauvre en RDC entre 2014 et 2016 période de l’étude, mais aussi entre 2001 et 2014 et entre 2017 et 2018.
Si le nouveau pouvoir veut réellement éradiquer la pauvreté, il doit s’approprier les constats ci-dessus mais également changer de vision globale en matière de la politique économique en optant pour une voie de développement endogène.
Il doit également mettre en œuvre des politiques macro-économiques pro-pauvres, stables, identifier de façon pratique des politiques de croissance au service du développement humain.
Prof. Florimond MUTEBA TSHITENGE
et
C.T. Joël MUKENI MAFUKU
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